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Avis d'experts

Investir dans les contextes de conflit : Avec discernement !

6 mars 2023
Josie Lianna Kaye, Fondatrice et Directrice générale, TrustWorks Global, Suisse

Comment le développement économique, le commerce et les investissements peuvent contribuer à la paix et à la stabilité.

Le monde n'a jamais connu autant de conflits et de violence depuis 1945. Selon l'Organisation des Nations Unies, 1,9 milliard de personnes vivent dans des contextes fragiles et de conflit, soit 24 % de la population mondiale.

À ce jour, le monde compte 39 contextes affectés par des conflits, et 37 autres avec des niveaux élevés de violence, de fragilité et/ou d'instabilité (voir la mappemonde ci-dessous). Le conflit devient une caractéristique du 21e siècle, avec des impacts dévastateurs sur les moyens de subsistance des populations.

Les endroits où le développement socio-économique durable et inclusif est le plus nécessaire sont donc aussi ceux où il est le plus difficile d'opérer, de commercer et d'investir.

Plusieurs caractéristiques communes se dégagent de ces contextes : la faiblesse des capacités de l'État et des cadres réglementaires, des niveaux élevés de corruption, l'instabilité politique, la généralisation des violations des droits de l'homme, et la durabilité de ces conflits et violences. Cette liste n'est pas exhaustive et d'autres caractéristiques sont susceptibles de freiner voire de compromettre le développement économique, ou de miner des initiatives d'investissement et de commerce bien intentionnées qui se traduisent alors par des résultats pernicieux.

Mappemonde de TrustWorks Global
Le classement mondial proposé par TrustWorks Global repose sur deux indices clés : l’indice de contexte de conflit du projet RULAC (État de droit dans les conflits armés), basé en Suisse, qui identifie ces contextes où s'applique le droit international relatif aux contextes de conflit – surlignés en orange et classés en termes de décès liés aux combats au cours des cinq dernières années (en utilisant les données du Projet sur les lieux de conflits armés et les données des événements, ACLED) ; et l'indice des États en situation de fragilité du Comité d’aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui évalue les contextes des pays selon six dimensions : économique, environnementale, politique, sécuritaire, humaine et sociale – surlignés en jaune et classés selon de leur fragilité.

* Les frontières et les noms indiqués sur cette carte, ainsi que les désignations employées, sont à titre indicatif. Ils n’impliquent ni la reconnaissance, ni l’acceptation officielle par l’Organisation des Nations Unies d’une frontière contestée. Ils n’ont aucun impact quant au fait de parvenir à une solution politique mutuellement acceptable, conforme aux buts et principes énoncés dans la Charte des Nations Unies.
© TrustWorks Global

Comprendre les risques et les opportunités

Les risques que les conflits et la fragilité font peser sur le développement économique sont parfaitement compris. Toutefois, il existe également un risque que les initiatives de développement économique déployées dans les contextes fragiles et de conflit contribuent par inadvertance aux conflits, à la violence et à l'instabilité. Après tout, le développement économique n'intervient pas dans un espace vide.

Malgré la neutralité politique revendiquée par la plupart des investisseurs et des entreprises, les impacts de leurs activités dans ces contextes ne sont jamais neutres. Un développement économique mené sans considération du conflit en cours finira toujours par générer, appuyer voire orienter le conflit, directement ou indirectement.

Il est aujourd'hui plus impératif que jamais de mener le développement économique dans un tel contexte avec discernement, en tenant compte du conflit en cours. Pourtant, la plupart des organisations internationales et des partenaires bilatéraux œuvrant au développement économique semblent y être aveugles, et passent ainsi à côté d'opportunités de contribuer à la paix et à la stabilité.

Ce biais s'explique par le fait que, trop souvent, les entreprises – prises au sens large, c'est à dire les sociétés multinationales, les petites et moyennes entreprises et les investisseurs connexes – ne sont pas considérées comme des facteurs de paix ou de conflits, malgré les rôles évidents qu'elles jouent dans la dynamique de paix ou de conflit. Cet « angle mort » ne conduit pas seulement à un développement économique sous-optimal, il peut à l'inverse de son objectif favoriser un développement économique contribuant involontairement à la violence, à l'instabilité et au conflit.

TrustWorks Global Conflict
« Bureau de change » sur le marché d'Hargeisa, Somaliland, 2017.
© Josie Lianna Kaye

Vers un développement économique sensible aux conflits

Comment le développement économique peut-il contribuer à la paix et à la stabilité ? Chez TrustWorks Global, nous pensons que deux éléments essentiels vont permettre de s'en assurer :

  • Premièrement, une approche sensible au conflit. L'approche sensible au conflit – étroitement liée à la diligence raisonnable accrue en matière de droits de l'homme – repose sur la conscience que l'interaction entre l'intervention et le conflit est bidirectionnelle. Elle permet de s'assurer que le développement économique est mené en tenant compte des clivages au cœur des conflits, des querelles relatives aux terres et aux ressources naturelles, ainsi que des inégalités, pour ne citer que quelques-uns des différends susceptibles de déclencher la violence. L'approche sensible au conflit est un processus continu, et c'est à cette dernière condition qu'elle permettra de minimiser les impacts négatifs et d'optimiser les impacts positifs du développement économique sur la paix et la stabilité.
  • Deuxièmement, une connaissance approfondie du contexte local. Pour avoir de bonnes pratiques dans les contextes fragiles et de conflit, il faut que les acteurs locaux soient bien informés et disposer d'une compréhension détaillée des dynamiques et de la géographie. Les acteurs internationaux peuvent y parvenir par le biais d'une collaboration étroite avec leurs partenaires, d'un engagement intensif des parties prenantes locales, ou éventuellement d'une présence à temps plein dans le pays cible. Ce sont là des facteurs essentiels pour garantir la pertinence des analyses, l'identification des besoins réels de développement et l'adéquation des interventions, à chaque fois en faisant la différence entre ce qui sert la paix et ce qui sert le conflit.

L'approche sensible au conflit et la connaissance approfondie du contexte local sont les deux piliers d'une intervention menée avec discernement, condition d'un développement économique qui contribue à la paix et à la stabilité. Notre objectif est de faire de cette aspiration une réalité en établissant des partenariats étroits et judicieux avec les organisations internationales travaillant au développement économique.

TrustWorks Global conflict
Des Afghans traversent la frontière avec le Tadjikistan à Davaz, dans les montagnes du Pamir, en 2007.

© David Trilling