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Mesurer le commerce de biens et services

15 avril 2013
ITC Nouvelles
La cartographie du commerce, de l’emploi et de la finance montre l’impact du commerce de produits à valeur ajoutée sur le développement et la durabilité.

La propagation rapide des chaînes de valeur mondiales (CVM) depuis la fin des années 80 a modifié la nature du commerce international. Ces chaînes de valeur ont ouvert une ère nouvelle de concurrence internationale, remaniant les structures organisationnelles des entreprises et des économies nationales. Les liens entre les procédés de production qui empiètent sur de nombreux pays impliquent aussi une nouvelle division du travail, chaque maillon de la chaîne d'approvisionnement se spécialisant dans un jeu de fonctions de production donné. Au cours du processus de changement, de nouvelles possibilités de production et de commercialisation ont vu le jour dans les PED, alors que les entreprises des économies industrialisées se concentrent toujours plus sur le segment à plus forte valeur ajoutée de leur activité.

L'augmentation des capacités de production dans les pays émergents et une plus grande facilité de conclure des affaires à travers le monde ont créé de nouvelles possibilités d'externalisation, et de nouveaux industriels ont fait leur apparition. Une des conséquences les plus visibles de l'apparition des CVM a été le déplacement de portions importantes de la production manufacturière des pays industrialisés vers les économies émergentes, en particulier en Asie. Ce nouveau contexte international fait que les industries nationales et les politiques économiques nationales peuvent difficilement fonctionner en vase clos.

Par ailleurs, le commerce le long de ces CVM reste une grande inconnue en termes statistiques. Jusqu'à il y a peu, les données disponibles ne permettaient pas de saisir l'ampleur et les conséquences de ce changement structurel. En attribuant la valeur intégrale d'un produit importé au dernier pays de la chaîne de valeur, indépendamment de l'origine des pièces et composants entrant dans le produit fini, les statistiques traditionnelles masquent les origines économiques de la valeur ajoutée à chaque étape de la chaîne d'approvisionnement. Lorsque les industries sont intégrées aux CVM et qu'une grande partie des intrants intermédiaires est importée, l'évaluation traditionnelle fondée sur les registres douaniers peut considérablement biaiser la pertinence économique des flux commerciaux bilatéraux.

La base de données lancée le 16 janvier 2013 par l'OCDE et l'OMC à partir d'une série d'initiatives internationales et consacrée à la mesure du commerce mondial de la valeur ajoutée, a permis de combler ce manque de statistiques. Les nouvelles données disponibles permettent de mieux comprendre les flux bilatéraux et d'éviter toute interprétation ou décision erronée, les données révélant la part de chaque secteur et pays dans la production de valeur ajoutée dans le monde.

En mesurant la seule valeur ajoutée, il est possible de réévaluer le commerce mondial en éliminant la double comptabilisation. En 2008, les exportations de produits à valeur ajoutée représentaient environ 70% de toutes les exportations brutes. En d'autres termes, 30% environ du commerce mondial consiste en des réexportations d'intrants intermédiaires. La différence entre les exportations de produits à valeur ajoutée et les exportations brutes (ratio valeur ajoutée/exportations) a diminué d'environ huit points de pourcentage depuis 1995, signe que les économies nationales sont toujours plus interdépendantes à l'échelle mondiale.

Estimer la teneur en éléments d'origine nationale des exportations implique de mesurer non seulement la valeur ajoutée apportée par l'industrie exportatrice, mais aussi la contribution des fournisseurs nationaux qui approvisionnent l'industrie exportatrice en biens et services intermédiaires. À cet égard tous les secteurs ne sont pas affectés de la même manière. Certains secteurs recourent largement aux intrants, achetés auprès d'autres branches d'activité nationales ou importés, alors que d'autres en sont moins dépendants. Logiquement, l'externalisation internationale a principalement des conséquences sur le commerce de produits manufacturés. Le ratio valeur ajoutée/exportations du secteur manufacturier, déjà le plus bas de tous les secteurs en 1995 à 50%, est passé à 42% en 2008. Les industries extractives sont aussi devenues de plus en plus dépendantes des intrants importés pendant cette période, alors que les changements dans le secteur agricole ont été à peine perceptibles.

Les résultats les plus impressionnants concernent les services, un secteur parfois considéré comme non-commercial par la théorie économique. Les services sont en fait essentiels aux CVM. En facilitant le transit de biens intermédiaires le long d'une chaîne d'approvisionnement et en permettant la communication et la coordination entre les unités de production, les services sont la courroie de transmission qui font tourner les chaînes d'approvisionnement. En outre, les industries manufacturières nationales fournisseurs de premier ou deuxième rang des chaînes d'approvisionnement internationales, achètent des services auprès de fournisseurs locaux, qu'il s'agisse de services publics, de logistique ou de services fournis aux entreprises. La contribution réelle des services à la production brute des industries manufacturières est donc élevée, mais elle est cachée dans les statistiques commerciales traditionnelles, le coût des services étant intégré dans le prix final de la marchandise.

Le ratio valeur ajoutée/exportations des services commerciaux dépasse les 100%, ce qui laisse penser que la valeur ajoutée que représentent les services achetés puis intégrés au commerce des marchandises représente une part non négligeable du coût de production des produits manufacturés. En d'autres termes, une part importante de la valeur des marchandises achetées dans le monde provient du secteur des services. Il convient aussi de noter que les services font l'objet d'une externalisation internationale. Le ratio valeur ajoutée/exportations a diminué de 30 points de pourcentage entre 1995 et 2008, indiquant que les services, tout comme les marchandises, sont ventilés et négociés à l'internationale dans le cadre de transactions distinctes. Certains PED, tels l'Inde et les Philippines, ont réussi à saisir cette occasion et à devenir de solides exportateurs mondiaux de services fournis aux entreprises.

 

La part des services dans les exportations mondiales est multipliée par deux si l'on prend le commerce de produits à valeur ajoutée plutôt que le prix commercial brut. Comme le montre le graphique relatif à la structure du commerce mondial, les services représentent la part la plus importante de la valeur du commerce mondial, alors que la part du secteur manufacturier se trouve réduite. Cette situation a deux conséquences majeures sur la politique économique:

  • La première concerne l'emploi. Dans les économies modernes, le secteur des services est le premier employeur, alors que le secteur manufacturier n'a cessé de perdre du terrain, et ce du fait du progrès technique et de l'augmentation connexe de la productivité du travail. Le commerce de produits à valeur ajoutée étant aussi appelé commerce de tâches, les résultats indiquent que le nombre d'emplois liés au au commerce est bien plus élevé qu'on ne le pensait.
  • La seconde concerne les services. Les services jouent un rôle clé dans la compétitivité internationale des secteurs manufacturiers nationaux. Lorsqu'une grande partie du coût de production final d'un produit manufacturé est due aux services fournis aux entreprises qui y sont intégrés, le coût et la qualité des services deviennent un facteur de compétitivité internationale clé, notamment pour le segment à plus forte valeur ajoutée du marché.

La part des services dans la teneur en produits d'origine nationale varie selon les secteurs et est bien plus grande pour les produits manufacturés que pour les produits primaires. La moyenne, tous pays confondus, montre que la part de la valeur ajoutée issue des services nationaux dans la valeur totale brute des exportations de produits manufacturés avoisinait 20% en 2008, contre 10% pour les produits primaires. Ce chiffre masque d'importantes différences nationales comme le montre le tableau relatif à la teneur en services nationaux des exportations de marchandises.

Dans certaines économies, la teneur en services nationaux dans la valeur brute des exportations de produits primaires peut atteindre 23%. Parmi les 10 premiers pays en termes de teneur en services figurent les économies avancées telles que l'Australie, les États-Unis, la France et la Nouvelle Zélande, ainsi que des PED tels le Brésil et l'Afrique du Sud. C'est encourageant lorsque l'on analyse les agents multiplicateurs du commerce et du développement pour les PED dotés d'importantes ressources naturelles.

La base de données OCDE-OMC sur le commerce de biens à valeur ajoutée englobera progressivement de nouveaux pays et fournira des données plus détaillées. Il est par ailleurs possible de mesurer les revenus générés et transférés par les CVM, sous forme de bénéfices ou d'indemnités pour les travailleurs. Une fois les incidences commerciales, financières et en termes d'emploi correctement définies, la contribution sous-jacente du commerce au développement apparaît clairement, bénéficiant non seulement aux participants et intervenants potentiels dans les chaînes de valeur, mais aussi aux décideurs politiques souhaitant une gouvernance mondiale durable.