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Kava : L’or vert du Vanuatu explose sur les marchés de niche

19 avril 2024
Evelyn Seltier, Centre du commerce international

Vous n'avez peut-être jamais goûté ou même entendu parler du kava, une plante originaire du Pacifique Sud. Pourtant, des bars à kava ouvrent et se multiplient partout dans le monde, grâce à des négociants passionnés comme Michael Louzé.


Ce citoyen du Vanuatu promet des produits de qualité qui permettent aux agriculteurs autochtones de s’éloigner des produits traditionnels introduits à l’époque coloniale et, surtout, de s'émanciper économiquement.

Michael Louzé dans son usine South Seas Commodities à Port-Vila, Vanuatu.
Malcom Wai/ITC/Fairpicture

Amer, fort en goût, le kava ne ressemble en rien à ce que vous avez déjà pu goûter. C'est ainsi que Michael Louzé, originaire du Vanuatu, le décrit. Pour vous donner une idée, les racines fraîches et vertes du kava sont aussi exotiques qu'une tasse de café noir ou aussi typiques qu'un fromage bleu – mais plutôt que de vous exciter comme le fait la caféine, ses effets sédatifs vous détendent.

Rien de surprenant donc, à ce que les « Nakamals », les bars à kava des îles du Pacifique, soient aussi populaires depuis plus de mille ans. Pour les habitants du Vanuatu, la consommation du kava est un acte social. Traditionnellement, le kava, dont les racines sont diluées dans l'eau, est consommé à des fins médicinales, sociales et cérémonielles. Il se boit toujours en bonne compagnie, jamais seul, comme le précise Michael.

Le kava est une boisson sociale.
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À Espiritu Santo, regarder les feuilles de kava
Malcom Wai/ITC/Fairpicture

L’appel de la nature

La famille de Michael est originaire de petits États insulaires. À l’issu de ses études à Paris, l’appel de la nature s’est fait entendre et l’a ramené au Vanuatu, un archipel du Pacifique Sud composé de 83 îles.

Grâce à son diplôme en agriculture, le parcours professionnel de Michael démarre au Centre technique et de recherche agricole du Vanuatu, où il travaille avec des producteurs de cultures traditionnelles comme le café et le cacao.

Très vite, le jeune diplômé se lasse de ce travail, car les consultants externes qui rédigent les rapports n'apportent ni changement ni nouveauté.

« Les gens qui viennent de l'extérieur ne restent pas assez longtemps pour comprendre le contexte local ; il leur manque la patience pour trouver des solutions durables. »

Son travail n'ayant que peu d'impact, Michael décide d’intégrer le secteur privé, avec l’idée saugrenue d'exporter le kava pour obtenir des résultats tangibles. Le kava fait partie de la vie quotidienne et des traditions de ces îles. De nombreux habitants se sont laissés tenté par la culture et la commercialisation de cette plante, surtout après des siècles de récoltes à faible valeur ajoutée, avant l'indépendance.

« Quand on travaille dans le secteur privé, chaque décision est axée sur les résultats. Vous devez avoir un impact. Les trois années que j'ai passées à travailler avec les communautés et les coopératives m'ont permis de m'en rendre compte. »

Les débuts de South Seas Commodities

Grâce au premier boom des exportations dans les années 1990, le commerce du kava procure une sécurité financière incite les agriculteurs et les commerçants à se lancer. Malheureusement, la collaboration de Michael avec l’entreprise pharmaceutique allemande Schwabe ne dure pas en raison de l’interdiction par l’Europe de l’importation de la plante en 2002. Le jeune responsable de projet doit alors se tourner vers une autre voie pour développer le commerce du kava.

Employé par un important éleveur de bétail et exportateur de cacao à Espiritu Santo, Michael commence à acheter du kava auprès des fermiers, rivalisant avec le seul autre acheteur de l’île à cette époque, qui paie moins de deux dollars le kilo. Au fil des ans cependant, les prix augmentent à mesure que le marché régional se développe, la plupart du kava étant envoyé vers les Fidji et la Nouvelle Calédonie.

© Malcom Wai/ITC/Fairpicture
© Malcom Wai/ITC/Fairpicture

Michael quitte finalement Espiritu Santo pour Port Vila en 2010, pour y lancer sa propre entreprise familiale, South Seas Commodities. Le marché américain est alors un importateur de premier plan, et en 2015, la filière du kava connaît un nouvel essor.

Aujourd’hui, près de dix ans plus tard, les rapports de la Communauté du Pacifique indiquent que les exportations annuelles de kava du Vanuatu ont représenté près de la moitié de toutes les exportations en 2020 (49,1 %, soit 774 tonnes), et les trois quarts au cours du premier trimestre de 2023.

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19 avril 2024
Vérification et nettoyage des racines de kava chez South Seas Commodities à Port-Vila, Vanuatu.
Malcom Wai/ITC/Fairpicture

La qualité plutôt que la quantité

South Seas Commodities exploite un entrepôt sanitaire près de l'aéroport, à l'extérieur de Port Vila. L’entreprise reçoit des racines de kava « noble » des îles extérieures (entre 500 kg et 1 000 kg par semaine) qui sont pré-nettoyées, pelées, coupées, lavées et séchées au soleil grâce à des séchoirs solaires et électriques que Michael a installés. Ces livraisons sont coordonnées par six agents/agriculteurs principaux, qui travaillent chacun avec plus de 30 agriculteurs dans différentes communautés.

Les produits subissent une inspection minutieuse au sein de l’entreprise, et un lavage sous pression avec de l'eau filtrée et un processus d'assainissement. Les racines et les chips sont ensuite vendues en vrac, principalement aux États-Unis et en France.

« Ces marchés apprécient la qualité de nos produits. Grâce à notre étape supplémentaire d'assainissement et de séchage rapide, et au fait que seules les meilleures racines de kava de toutes les îles sont acceptées, la valeur de notre kava a augmenté, ce qui se traduit par des revenus plus élevés pour tous. »

S'entretenir avec les anciens des communautés autochtones.
Malcom Wai/ITC/Fairpicture

Le succès s'accompagne de risques de surexploitation et d'insécurité alimentaire

En tant que président de l'association de l'industrie du kava de Vanuatu depuis plus de dix ans, Michael travaille pour que le kava demeure un produit de haute qualité et rémunérateur pour les agriculteurs, et ce, pour plusieurs raisons.

Pour la première fois, les agriculteurs disposent d’une culture génératrice de revenus élevés. La tentation est donc grande de délaisser les autres cultures, faisant courir au Vanuatu le risque de se retrouver avec une monoculture. L’abandon de ces autres plantations est une menace pour la sécurité alimentaire, et augmente le risque d'érosion des sols en cas de cyclone.

Ces risques ne sont que certains des défis que Michael et les autres représentants de l’association de l'industrie du kava de Vanuatu doivent relever, et qui sont l’objet de réunions avec le gouvernement et le secteur privé.

« Le kava est primordial pour l'économie du Vanuatu. Cent pour cent de nos agriculteurs sont des autochtones qui pratiquent une agriculture de subsistance. Pour la première fois, ils ont accès à une denrée qui les rend autonomes. C'est leur chance. C'est pourquoi nous devons avancer avec grande prudence. »

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L'horizon est vaste - et plein d'opportunités

Le commerce est la solution à notre dépendance économique.
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Selon Michael, le kava devrait être une priorité pour le gouvernement. Le négociant souhaiterait que des discussions interviennent sur l'interdiction d'exporter imposée par le Royaume-Uni et d'autres pays européens. Plutôt que d'insister sur l'aide au développement ou l'investissement dans les infrastructures, le gouvernement devrait se concentrer sur les échanges commerciaux.

« Le commerce est la solution à notre dépendance économique. L’assistance internationale n'est pas une solution durable. On a l'impression que les pays veulent nous garder dépendants de l'aide. Il n'y a aucune raison d'interdire l'exportation du kava, surtout si nous importons de l'alcool du reste du monde. »

Le Centre du commerce international, en collaboration avec la Communauté du Pacifique, travaille avec Michael et d'autres négociants et producteurs du Vanuatu pour renforcer les capacités au niveau des exploitations agricoles, améliorer la transformation et la valeur ajoutée, et établir des liens avec les marchés potentiels.

« Si vous aidez les agriculteurs à produire des produits de qualité, les exportateurs peuvent demander un prix plus élevé ; tout le monde est gagnant dans la chaîne de valeur. »

Tandis que l’entretien se termine, Michael tient à dire une dernière chose : « Tout le monde devrait essayer le kava – et se faire sa propre idée ! ». J’abonde avec lui en ce sens.

Le Centre du commerce international, en collaboration avec la Communauté du Pacifique, met en œuvre le programme ACP Business-Friendly à Vanuatu pour appuyer le secteur du kava. Financé par l'Union européenne (UE) et l'Organisation des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), le programme vise à améliorer la compétitivité et la connectivité au marché des opérateurs de la chaîne de valeur, y compris les petits fermiers des exploitations familiales, les agripreneurs, les transformateurs et les négociants comme Michael Louzé. Les pratiques de production durables sont au cœur de ces efforts afin de renforcer la résilience et les modèles d'entreprise bancables afin d'attirer les investissements. Outre le Vanuatu, le programme est mis en œuvre dans 12 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), en accordant la priorité à cinq secteurs : le café, le cacao, le coton, les noix de coco et le kava.